Dans le magazine n°06 de Haute-Corrèze Communauté, Marion Barreau, chef de projet patrimoine, enquête sur l’histoire de Rémi Sans Famille avec l’aide de Fabienne Garnerin, Gilles Magrit et toute l’équipe de la médiathèque. Le héros de Hector Malot aurait-il des origines limousines ?
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Extrait de la page 12 de la BD Rémi Sans Famille, de Cédric Simon et Eric Stalner © Editions Glénat 2018
Sans Famille est écrit par Hector Malot en 1878. C’est l’histoire d’un enfant volé et abandonné, recueilli et élevé à Chavanon par madame Barberin jusqu’à ses 8 ans quand monsieur Barberin le confie, moyennant de l’argent, à Vitalis. Au côté de ce sage bonimenteur, chef d’une petite troupe composée de trois chiens et d’un singe, Rémi s’initie à l’art du spectacle et parcourt la France de ville en ville, de place en place. Au gré de ce voyage initiatique, des multiples rencontres et expériences qui le ponctuent, Rémi grandit, découvre le monde et les hommes, construit son regard et son identité.
Des millions d’enfants à travers le monde ont depuis eux aussi grandi à travers le personnage de Rémi. Traduites dans plus de 100 langues, sujet d’adaptations multiples au fil des années – en roman jeunesse, BD, série, film ou manga – les aventures de cet orphelin ont touché de nombreuses générations depuis la fin du 19ème siècle jusqu’à aujourd’hui. S’en serait-elle doutée, la fille d’Hector Malot, lorsqu’elle écoutait son écrivain de père lui lire les derniers chapitres qu’il venait d’écrire pour en vérifier les effets sur son jeune auditoire ?
Hector Malot écrit l’histoire de Rémi depuis son bureau de Fontenay-sous-Bois. Comment imagine-t-il alors les paysages de Creuse et de Corrèze où il situe la tendre enfance de son héros ? Pour démêler la fiction de la réalité, en funambule sur un fil ténu, nous sommes partis interroger Fabienne Garnerin et Gilles Magrit, tous deux habitants de Haute-Corrèze et spécialistes passionnés de Sans Famille.
Pour écrire son roman, Hector Malot est-il venu s’imprégner d’Ussel et ses environs ?
Peu probable selon Fabienne Garnerin. Elle a minutieusement exploré les carnets de voyage de l’écrivain : aucun n’est consacré à un voyage en Creuse ou en Corrèze. D’ailleurs, il existe quelques incohérences entre le récit et la réalité de notre territoire. “Chavanon” est un nom de village fictif, difficile à situer précisément, certainement inspiré de la rivière du même nom. Serait-ce vers Magnat-l’Etrange ? Vers Saint-Oradoux-de-Chirouze ? Situé non loin d’Ussel et du Mont Audouze, cités dans le récit, au cœur d’un paysage de landes à bruyères et genêts, près d’un ruisseau qui alimente “la Loire”, à côté de la ligne de partage des eaux entre “le bassin de la Loire de celui de la Dordogne”. Voici les éléments tangibles dont nous disposons. Si certains détails décrits ont permis à Gilles Magrit de retracer peu à peu le parcours de Rémi à travers le plateau de Millevaches, les descriptions du paysage restent parfois incertaines, les formes alvéolaires et les hêtres typiques de la montagne limousine n’apparaissent pas. Des imprécisions qui sembleraient montrer qu’Hector Malot a une connaissance avant tout intellectuelle des lieux.
D’où tire-t-il alors son inspiration ?
Fabienne Garnerin et Gilles Magrit ont leurs hypothèses. Selon ce dernier, l’histoire de Rémi aurait un fond de vérité. Hector Malot aurait pu rencontrer à Paris dans un cabinet de notaire l’adolescent qui se serait confié à lui. Les précisions géographiques qu’Hector Malot adopte ensuite pour ancrer cette histoire pourraient être le fruit de rencontres avec des migrants limousins venus mettre leur force de travail au service des chantiers de la capitale. Elles pourraient aussi trouver leur inspiration dans des récits de voyage, ouvrages géographiques de l’époque et échanges avec son ami Jules Verne. Fabienne Garnerin a noté des similitudes entre certains passages de la Géographie du Département de la Corrèze de François Marvaud (1846) et les lieux dépeints par Hector Malot qui avait probablement feuilleté l’ouvrage.
Mais pourquoi Hector Malot décrit-il ainsi ce territoire où il n’a probablement jamais mis les pieds ?
Une campagne pauvre, isolée, comme hors du temps… Ce paysage, qui parle à l’imagination, nous projette dans un récit qui aurait pu commencer, tel un conte, par “il était une fois, dans une petite chaumière perdue dans les landes…”. Dans ce paysage nu, sauvage, les émotions de Rémi résonnent plus fort encore, la douceur de Maman Barberin comme la douleur de la séparation. Depuis la Creuse, à travers la France, on suit Rémi par monts et par vaux. Et si la géographie en reste floue, c’est sans doute que là n’est pas l’essentiel pour Hector Malot. Au-delà de la découverte des montagnes, des villes ou des rivières, ce sont les gens qui y vivent que l’on rencontre, leur quête pour y être heureux que l’on frôle du doigt. Dans les pas de Rémi, on explore le monde et on en surmonte les épreuves, armé d’une volonté farouche, d’un grand courage, d’une véritable sensibilité, d’une belle générosité et d’un sens de l’amitié chevillé au corps et au cœur.
Et bien que ce soit là que réside l’universalité de l’histoire de Rémi, rien n’empêche de rappeler que son point de départ est en Haute-Corrèze.
Envie d'aller plus loin ?
A l’occasion de la sortie en salles du film éponyme en 2018, le Huffington Post a consacré un article à l’impact de Rémi Sans Famille sur toute une génération dans les années 1980.
Ce jeune orphelin a marqué plusieurs générations. Ce mercredi 12 décembre “Rémi sans famille” déboule dans les salles obscures. Après le roman d’Hector Malot (1878), le célèbre dessin animé japonais et sa chanson dans les années 80, voici le film. Avec ses mille et une vies, Le garçon orphelin recueilli par un artiste ambulant – avec qui il sillonne les routes de France avec ses chiens et son singe Joli-Cœur – n’a pas fini de se rappeler des souvenirs à ceux qui portent le même prénom que lui. Pour le meilleur, ou pour le pire.
C’est probablement à cause de la série animée que la majorité des Rémi de moins de quarante ans porte ce court patronyme (extrait du site).

Pour aller + loin
La médiathèque intercommunale vous propose une sélection documentaire autour de “Rémi Sans Famille“. Retrouvez-les sur le site d’Ussel dès aujourd’hui !
Extrait
Mon village, ou, pour parler plus justement, le village où j’ai été élevé, car je n’ai pas eu de village à moi, pas de lieu de naissance, pas plus de père ou de mère, le village enfin où j’ai passé mon enfance se nomme Chavanon ; c’est l’un des plus pauvres du centre de la France.
Cette pauvreté, il la doit non pas à l’apathie ou à la paresse de ses habitants, mais à sa situation même dans une contrée peu fertile. Le sol n’a pas de profondeur, et pour produire de bonnes récoltes, il lui faudrait des engrais ou des amendements qui manquent dans le pays. Aussi ne rencontre-t-on (ou tout du moins ne rencontrait-on à l’époque dont je parle) que peu de champs cultivés, tandis qu’on voit partout de vastes étendues de brandes dans lesquelles ne croissent que des bruyères et des genêts. Pour trouver de beaux arbres, il faut abandonner les hauteurs et descendre dans les plis du terrain, sur les bords des rivières où, dans d’étroites prairies, poussent de grands châtaigniers et des chênes vigoureux. C’est dans un de ces replis de terrain, sur les bords d’un ruisseau qui va perdre ses eaux rapides dans un des affluents de la Loire, que se dresse la maison où j’ai passé mes premières années.